D.L.

 

LE JEU DE DAMES ET LES DAMOPHILES

Soldats grecs se délassant en jouant aux Dames

La deuxième journée du grand Concours régional du jeu de Dames organisé par les amateurs lyonnais, sous le patronage du Progrès et du Progrès illustré, aura lieu aujourd'hui dimanche 13 novembre, à 2 heures de l'après midi, à la Brasserie Raspail.

Nos lecteurs pourront connaître dès demain, dans le progrès quotidien, les résultat de cette épreuve décisive, d'où sortira la proclamation du championn glorieux du Concours de l'année 1898.

 

Ce tournoi pacifique est le second du même genre qui ait été donné à Lyon depuis le concours international de l'Exposition de 1894, concours resté fameux par les incidents auxquels donnèrent lieu les luttes homériques entre noirs et blancs - il s'agit bien entendu des joueurs - entre les six nègres sénégalais, Amadou-Kandy, Alasane, Amadou-Bey, Topopo, Ali Cherry et Kercherra et la phalange des blancs lyonnais, phocéens et parisiens. Le redoutable Amadou Kandy se distingua d'abord par ses nombreuses incartades et par les scènes de violence et d'intimidation qu'il usa à plusieurs reprises lorsqu'il se sentait serré de trop près par ses adversaires. Il fallut requérir à la force publique pour calmer et mettre à la raison le farouche et bouillant noiraud, dont la force aux dames, de tout premier ordre, lui permit de battre ses concurrents blancs.

Le triomphe d'Amadou fit épanouir d'orgueil les frimousses de tous les moricauds, et on put lire dans les regards étincelants qu'il s'agissait là d'une revanche de la guerre punique, d'une victoirede Jugurtha sur Scipion. Les luttes du Damier ne revêtent d'ordinaire ce caractère d'acrimonie, ni n'engendrent la dispute ni la mauvaise foi. Les damophiles lyonnais et régionaux, au concours de 1897 et dimanche dernier, à la première journée du Concours de 1898, ont fourni la preuve que le grand calme et la loyauté sont une règle parmi eux.

C'est ainsi que le jeu de Dames passe, de l'avis de tous les connaisseurs comme une distraction saine des gens policés, en dépit des nègres turbulents qui voulaient en faire une machine de guerre et convertir de belles séances récréatives en scènes de pugillat.

Cela dit, une fois pour toutes, pour rendre hommage à ce noble jeu, et nos damophiles, constatons que ses origines sont aussi inconnues que lointaines. Le dessin que nous reproduisons en tête de cet article, et qui est tiré d'une Histoire de la Grèce, représente deux soldats grecs se livrant aux agréments du pionnage devant les murs de la Troie et très probablement entre deux assauts, car ils ont eu la précaution de ne pas se dessaisir de leurs armes.

Il s'agit très vraisemblablement de Palamède, jeune officier de l'armée grecque, et d'un de ses compagnons d'armes dont on ne se relate pas le nom.

Palamède passe pour avoir été le créateur du jeu de Dames. La longueur du siège de Troie contraignant l'armée d'investissement à l'inaction, ce jeune officier inventa, pour distraire ses soldats, une ingénieuse combinaison.

Un joueur expressif :

M.Richard

 Académiciens du Damier

Quelques joueurs

Après avoir dessiné sur un plateau un diagramme complet, il tailla un certain nombre de cylindres en bois qu'il différencia, en nombre égal, par un signe très apprent. Les cylindres ainsi divisés représentaient des soldats des deux camps prêts à se livrer au combat.

Palamède gagna force batailles sur ce champ improvisé et devint bientôt invincible. Voilà pour la légende.

Quand à l'origine certaine du jeu de Dames, elle se perd dans la nuit des temps. En effet s'il faut en croire les égyptologues modernes, le damier se trouverait gravé sur des stèles de l'époque des premières dynasties des Pharaons. Nous renonçons à chercher plus loin : il nous faudrait entrepasser le Déluge ; il nous suffira de dire que le jeu de Dames remonte à la plus haute antiquité.

Il est toutefois certain qu'avant d'arriver jusqu'à nous, les Dames ont figuré sur les tables des plus puissants monarques et des plus grands stratèges de notre histoire, qui en faisaient leurs délices.

Le jeu de Dames à la Française comportait 12 pions de chaque côté ; le jeu à la Polonaise en a 20. C'est ce dernier qui est adopté aujourd'hui universellement.

"Et d'abord, quel intérêt présente donc votre jeu de Dames ?" nous disait naguère à brûle-pourpoint un de nos lecteurs, qui en a horreur des casse tête en général et qui considère les Echecs et les Dames comme les deux plus ineptes passe-temps qu'il soit donné d'offrir à un désouevré.

Il faut convenir qu'une question ainsi posée dénote, de la part de celui qui s'en rend coupable, une parfaite ignorance de l'intérêt et de la valeur des jeux de pur calcul, tels que les Dames et les Echecs, qui ne tiennent rien du hasard comme les cartes, les dominos et tant d'autres jeux où les chances de succès sont subordonnées au caprice des obtentions fortuites.

Il est certain qu'un damier placé entre les mains d'un profane ou d'un novice ne lui offrira qu'une mince distraction. Pour apprécier ce jeu, pour en savourer les agréments et les charmes il est absolument nécessaire d'en connaître les règles. Ce qui est supplice chez le débutant devient bientôt, par une pratique raisonnable et par la connaissance approfondie de la méthode, un véritable délassement.

Il n'est pas jusqu'aux spectateurs qui ne soient pas saisis d'intérêt devant les excellents joueurs de l'Académie Raspail et qui ne fassent galerie autour d'une partie de maîtres.

Notre dessinateur G.Girrane a pu croquer, aux séances préparatoires du concours données par cette jeune société, quelques scènes qui témoignent très fidèlement de l'état d'âme des joueurs et des spectateurs.

Le fin d'une partie de classement à l'Académie Raspail (Le Goff - H.Dentroux)

On trouvera dans la physionomie de ces groupes, tantôt les airs posés ou réfléchis des profonds calculateurs, tantôt les mines gaies ou goguenardes de ceux qui viennent enfin de jouer un bon tour à leur partenaire.

Le beau sexe ne dédaigne pas de se mesurer contre le sexe fort à l'Académie Raspail, où il est en grand honneur. Nombre de dames soutiennent, en effet, avec succès, de brillantes luttes contre les maîtres.

Madame Sarah Bernardt intime

Ajoutons que parmi les ferventes du damier on compte l'illustre tragédienne Sarah Bernardt, que notre dessinateur représente cherchant la solution d'un joli problème à elle dédié par M. Le Goff. Nous sommes certains que la grande artiste en trouvera la solution.

Un Souffleur

Article tiré du Progrès illustré de Lyon, 13 novembre 1898, page 8

Sarah Bernardt contre Buttgenbach s'adonnant au salta (une variante de jeu de dames) à Londres en 1901

Cliché tiré de la Revue mensuelle de Jeux de Combinaisons de G.Balédent (n°1 - 15/07/1901)

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Dernière modification : 16/05/2016